Mes restaurants
3 toques Gault & Millau
Aller au Vieux Couvent, c'est comme entrer en religion, mais attention ! Pas celle de la méditation monacale ascétique et spirituelle, mais celle du goût intrinsèque des bonnes choses, des plaisirs simples, épicuriens, une religion qui entonne les cantiques en l’honneur de dame nature avant tout...
Située à Rhinau, proche des rives du Rhin, à une quarantaine de kilomètres au sud de Strasbourg, cette maison d’inspiration alsacienne joliment fleurie, au cadre sobre et contemporain, offre un réel cachet.
Les larges baies vitrées surplombent la rivière Brunnwasser, la salle est lumineuse et encore plus chaleureuse le soir venu. Tout ici a été pensé pour rendre hommage à la nature environnante. Les murs orangés - couleur un peu trop dominante à mon goût - rappellent l'argousier ; le plafond est orné de motifs végétaux sculptés dans le sycomore ondé.
Une magnifique marqueterie blanche et noire rappelle les paysages du Ried environnant. La création d’une terrasse panoramique - qui manque actuellement il est vrai - devrait parachever cette osmose...
On a beau dire, les restaurants imprégnés d’une histoire familiale occupent une place à part dans le giron gastronomique. Le Vieux Couvent ne faillit pas à cette règle, où la famille Albrecht occupe les lieux depuis plusieurs générations. Plus que dans un restaurant classique, l'accueil est chaleureux et authentique, l'ambiance est douce et décontractée, mais la différence, c'est la présence d'une âme qui transpire dans chaque recoin de la salle, une âme d'aubergistes qui savent donner un sens à l'art de recevoir et entretenir la volonté de toujours bien faire.
Évelyne, la maitresse des lieux, accorte, discrète et souriante, assistée de la charmante Lise, jeune sommelière, pro, dévouée et attentionnée, se plie en quatre pour vous faire passer un joli moment de détente de haute gastronomie en toute simplicité, et là est le luxe !
Elle relaye surtout à merveille la cuisine étoilée de son époux. Si le restaurant arbore fièrement depuis 35 ans 1 macaron au guide MICHELIN, c’est parce qu’Alexis n’a rien renié du savoir-faire qu’il a hérité de son papa Jeannot. La transmission s’est faite naturellement, en douceur, comme une évidence, me confie-t-il. Il réinterprète juste de manière plus contemporaine et plus technique, voire expérimentale - fruit de ses nombreuses formations dans de belles maisons et de sa soif de curiosité - les influences végétales et alsaciennes paternelles et perpétue, en les affinant ou en les mariant, les recettes italiennes de sa maman Lucienne (gnocchi au pesto, ravioles d’osso bucco, lasagne à la tomate,...)
Alexis est un robuste gaillard. Réservé de prime abord, il vous accueille avec bonhomie et chaleur. Le mimétisme avec son papa est saisissant. Leur physique, leur voix, leurs sourires, leur joie de vivre, leur éloquence, leur talent et surtout leur passion pour la cuisine et leur fameux jardin semblent jumelés !
Côté cuisine, voilà une adresse qui m’a surpris, je l’avoue... J’en gardais une image classique. Méprise, c’est tout le contraire ! Sans doute car la cuisine du papa d’Alexis était à la mode avant l’heure ! Les Albrecht n’ont pas attendu que les légumes et le végétal soient tendances pour les travailler dans l’assiette. Ici le légume, les plantes et herbes sauvages, les fleurs comestibles, sont une passion génétique, une raison d’être qui coule dans leur veine. Ils pourraient vous en parler des heures ! Si Jean, chef autodidacte n’est plus au piano, il continue de conseiller et d’inspirer son fiston. Il s’adonne surtout seul, chapeau bas, à l’exploitation de leurs deux immenses jardins qui fournissent pas moins des 2/3 des besoins du restaurant. Fraicheur et choix garantis !
Ne croyant que ce que l’on voit, ni une ni deux, le chef nous y emmène et nous guide à travers les nombreuses allées qui délimitent les parcelles cultivées. S’ensuit un festival d’explications enjouées et expertes sur l’approche éco-responsable, sur le goût, les propriétés de chaque habitant du potager ! Par ici, persil plat, laitue chrysanthème, sédum, valériane, capucine, chénopode, corne de cerf, feuille de moutarde, roquette, oseille rouge, pourpier, achillée mille-feuille, herbe coca, bourrache bleue et blanche, soucis, rose et capucine, fleur de courgettes, tomates, petits pois, betteraves, cornichons, excusez-moi si j’en oublie une centaine !!! Valse végétale que nous retrouverons d’ici une heure dans nos assiettes ! Génial, non ?
Vous l’aurez donc compris, le jardin est le poumon des compositions du chef. Mais croire que la cuisine est végétale pour autant serait faire fausse route. Ici, ni fioritures inutiles, ni simples considérations esthétiques, le jardin ne pousse pas impunément dans l’assiette. Ici, pas de sensations de « brouter de l’herbe » comme c’est trop souvent le cas dans des approches semblables. Le fait que le chef connaise en expert tous les apports gustatifs de chaque ingrédient permet que tout soit à sa place et que rien ne soit le fruit du hasard. Le végétal n’est pas un alibi mais le partenaire des autres composantes du plat, le tout dans un heureux mariage d’oppositions, d’équilibre, de jeux de textures, d’acidité et surtout d’explosions de saveurs qui fusionnent entre elles comme par alchimie. Même si, in fine, comme se plait à le dire le chef, c’est la sélection du bon produit dans sa globalité qui donne le la d’un bon plat, et qui fait toute la différence. Chaque plat est donc un hymne respectueux et mélodieux au produit, et qu’il soit végétal ou animal, seule sa qualité, sa fraîcheur et sa saisonnalité ont droit de citer.
Si les circuits courts avec des fournisseurs partenaires - pêcheurs de la région, chasseurs de gibiers locaux et éleveurs qu'il connaît - sont privilégiés, il ne s’interdit pas de sortir du giron alsacien. Ici point de concept locavore modeux, excessif et réducteur, qu’il soit italien, exotique ou asiatique, bridé (comme les yeux du chef, me dit-il en souriant), si le produit est bon, il passe à la casserole ! Comme ça fait du bien d’entendre ce genre de discours, sain, naturel, sincère, détaché du suivisme ambiant très en vogue, loin du marketing et de l’émulation parfois néfaste des réseaux sociaux,des conseillers en tout genre qui uniformisent les goûts, de l’omnipotence des influences nordiques minimalistes, intellectuelles, froides et souvent marquées de souvenirs gustatifs évanescents !
Le chef n’aime pas non plus jouer perso et solo, « Sans l’équipe, on n’est rien ! » insiste-t-il. Bel esprit d’humilité, de partage et de respect mutuel. Entouré d’une jeune brigade dévouée, volontaire et motivée, il est bien armé pour sortir des ogives gustatives de haut vol, qu’il me tarde de vous conter, au gré d’un menu surprise d’exception que le chef a bien voulu nous concocter.
Le décor et l’ancrage territorial et végétal sont tout de suite plantés avec cette pomponette de chocolat au parfait de foie de canard et baerewecke, et ces bretzels parfumés à la fleur de mélilot.
La mise-en-bouche suit le même tempo : fleur d'hémérocalle farcie d'une purée de pois chiche à l'huile d'argan, et dans la tasse, espuma de pomme de terre à l'égopode et bœuf séché.
Les choses sérieuses commencent vraiment avec cette magnifique première entrée :
Fines rouelles d'anguille au Melfor (vinaigre alsacien) et huile de noisette, prunelle sauvage préparée comme des olives, salade de quinoa au persil plat, valse d'herbes et de fleurs : laitue chrysanthème, sédum, valériane, capucine, chénopode, corne de cerf, feuille de moutarde, roquette, oseille rouge, pourpier, achillée mille-feuille, herbe coca, bourrache bleue et blanche, soucis, rose et capucine.
Vous vous souvenez ? Une heure avant, tous ces éléments étaient encore au jardin ! Un régal pour les pupilles et les papilles. Une harmonie symphonique subtilement dosée qui jamais ne crée la saturation. Top !
Riesling 2016 Maison JULG Seebach. Pas le plus typique des Riesling, mais bien sec, suave, parfait pour entamer les hostilités gustatives et mettre le palais en condition.
Soudain, tout le talent technique et créatif du chef s’exprime avec ces Ravioles de grenouilles accompagnées de perles de persil plat et son consommé. Un plat tout en légèreté, en joliesse, en finesse gustative et en texture qui masque un gros travail de recherche et là est l’art des grands chefs, ne pas rendre la technique apparente, laisser la place à l’émotion gustative avant tout... L’attrait d’Alexis pour la cuisine moléculaire se retrouve dans la constitution des billes via l’alginate où plus que pour le côté ludique et expérimental, le chef y voit l’apport de textures différentes et uniques. N’étant pas un inconditionnel de ce type de cuisine, je dois admettre que j’ai été séduit par ce plat, car justement, le côté moléculaire reste discret, c’est un moyen et non une fin en soi, tout comme peut l’être un mode de cuisson. Là encore, Alexis a tout compris. L’esbroufe et les effets de manche ne sont pas durables, ce qui compte c’est faire de la bonne cuisine !
Pinot blanc vieilles vignes 2014 Meyer Fonné KATZENTHAL. Vin remarquable mariant en bouche richesse et fraîcheur, avec des notes marquées de fruits blancs, fumées et de miel.
Nous continuons d’apprécier les richesses maraichères maison et ichtyennes du Rhin avec ce chaud-froid de légumes, filet de brochet désarêté, beignet de fleurs de courgette et un « chum » (mousse) à l'essence de tomate.
Je dois reconnaitre que je n’avais jamais goûté un brochet d’une telle finesse, sublimé par une cuisson minute. Connu pour ses nombreuses arêtes et apprêté souvent sous forme de quenelle ou en daube dans les matelotes, le fait de le trancher dans les parties épaisses et charnues permet de redonner ses lettres de noblesse à ce poisson !
Domaine du Père Benoit Gavroche. Assemblage atypique et déconcertant je l’avoue de Chenin, Muscat à petits grains, Vermentino.
Conjointement, nous nous extasions séparément devant deux plats qui expriment la cuisine métissée, généreuse et gourmande du chef :
- Escalope de foie d'oie gras poêlé, et son embeurrée de fraise, sur une réduction de balsamique et poivre long.
Domaine des grandes espérances, Les ailes pourpres, Cabernet Franc. Nez complexe de fruits noirs, épicé. Bouche droite, élégante, équilibrée avec une belle longueur.
- Risotto italien Carnaroli aux petits pois et aux herbes du jardin, coulis à l'oseille. Un plat simplement bon !
Domaine de la Préceptorie, Terres Nouvelles, 2016, AOC Côtes du Roussillon. Vin fin et délicat, voluptueux, arômes de fruits jaunes, un peu caramélisés.
Nous atteignons des sommets avec ce morceau de bravoure, il faut dire que je suis un inconditionnel du ris de veau et donc pas forcément objectif !
Escalope de ris de veau poêlé minute façon grenobloise (adjonction de câpres), accompagnée de carottes et d’une galette parmentière à la livèche.
Un ris de veau au cœur fondant cuit à la perfection et parfaitement escorté, qui embrase le palais et me fait encore saliver rien que d’y penser !
Gevrey Chambertin 2014, René Bouvier, Chapitre Suivant. Ce vin procure fraicheur et fruité et révèle l'expression même du Bourgogne Pinot Noir.
Sans transition fromagère, nous attaquons directement les notes sucrées où le chef excelle particulièrement. Il distribue au fil de l’eau son fabuleux palmarès des desserts, que personnellement je servirais en une seule fois, afin d’avoir une vue d’ensemble sur la table et rendre le tout plus massif et spectaculaire.
En guise de rafraichissement, tombe une Neige à la Rose de Rescht du jardin.
Puis s’ensuit une noria de cinq douceurs :
- Un granité de fraise pamplemousse et Grand Marnier, suprême d'agrumes et sucre pétillant.
- Un Baba au Kirsch sur lit de cerises et griottes, espuma au serpolet.
- Une Meringue glacée au lierre terrestre et framboises.
- Une proposition autour du chocolat : glace au chocolat noir, crémeux au chocolat blanc et fleur de mélilot, croustillants au pralin.
- et pour finir un « Mandelbarry » (pâte feuilletée cuite avec une meringue aux amandes) accompagné d'une crème glacée à la fraise et rhubarbe confite. Crémant d’Alsace, Rosé Maison JULG
Il est clair qu’après tant de générosité et de créativité, la coupe est pleine ou presque ! Coupe que nous remettons sans hésiter à Alexis, tant il a su porter haut les couleurs de la gastronomie. Un chef sympathique, pétri de talent qui se fait discret, malgré sa renommée et dont on entend peu parler dans les sphères médiatico-gastronomiques mais qui le mériterait amplement, tant la partition qu’il nous a interprétée ce soir m’a subjugué.
Une Cuisine tout terrain, exaltante, métissée, colorée, festive, qui flatte finement le palais et joue une partition singulière et iconoclaste, mais pas que ! Une Cuisine inventive, subrepticement moléculaire pour apporter des textures nouvelles, mais pas que ! Une Cuisine nette, franche, libre, droite, compréhensible, spontanée, qui cache beaucoup de précision, de maitrise technique et de travail en amont et qui révèle les saveurs authentiques des produits et de leur territoire, mais pas que ! Une Cuisine humaine, chaleureuse, généreuse, qui vous prend par la main du début à la fin et vous fait voyager vers des horizons gastronomiques insoupçonnés et qui une fois relâchée ne donne qu’une envie de la tendre de nouveau !
Un big-up et une ovation pour Alexis Albrecht, Évelyne et toute leur équipe, mention spéciale à Lise qui nous a commenté une sélection de vin bien ciblée.
Découvrez sans hésiter cette belle adresse pour un très bon rapport qualité/prix, menus de 37 € à 102 € et pensez à réserver de la part du blog, un apéritif vous sera offert !
Crédits photos : Christophe se met à table
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